Nous sommes en juillet 1944, à quelques kilomètres au sud-ouest de Saucats dans une ferme abandonnée : la ferme de Richemont. Depuis quelques semaines, un groupe d'une vingtaine de jeunes gens s'y retrouvent régulièrement et s'entraînent afin de se préparer à soutenir la résistance.
Cette ferme a été choisie en juin 1944, car isolée et abandonnée, elle est située loin des axes routiers, en plein milieu d'une forêt de pins et seul un chemin étroit en permet l’accès. De plus, elle est suffisamment grande pour y accueillir le groupe de jeunes gens.
Ce sont des jeunes hommes âgés entre 17 et 23 ans qui sont pour la plupart élèves au lycée Montaigne à Bordeaux. Ils se préparent à intégrer Saint-Cyr, ou l’École nationale de la France d'outre Mer ou encore Médecine. Un groupe de trois tirailleurs marocains les a également rejoint.
Ils s'entraînent tous avec une rigueur militaire : maniement des mitraillettes, tours de garde, quelques opérations de sabotage et surtout en ce mois de juillet, ils attendent le parachutage d'armes. C'est un message de la BBC qui doit les prévenir : "la panthère est enrhumée" puis "le coucou chante en mai".
C'est le lieutenant François Mossé qui instruit ces jeunes ; il a l'expérience d'années de résistance dans le Vercors. Avec son cousin Jacques Glotz et avec l'aide du bordelais Jean Dietlin, ce petit groupe a pu être formé vers avril / mai 1944.
Toutefois, l'imprudence de l'un des leurs, André Hosteins, fait qu'ils sont dénoncés.
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Au matin du 14 juillet, vers 7h00, deux autocars traversent Saucats et se rendent en direction de Saint-Magne ; l'un transporte des miliciens, l'autre des Allemands.
Le débarquement, qui a eu lieu le 6 juin, a fait grandir l'espoir de la victoire proche. Ce matin-là, les résistants se sont levés plus tard, ils ont hissé le drapeau français pour célébrer le 14 juillet et vaquent à leurs occupations quotidiennes. Sur les 24 personnes qui composent le groupe, ils ne sont que 15 à la ferme. Ils sont peu armés : douze mitraillettes avec deux chargeurs pour chacune et une caisse de grenades car ils attendent le parachutage d'armes
Vers 8h00, Philippe Béguerie part chercher de l'eau au puits tout proche. Des bruits inhabituels résonnent dans le bois : craquements, bruits de branches.... quand la première rafale de tirs se fait entendre, il n'y a plus de doute possible.
Rien ne les a préparé à
ce qu'il va leur arriver.
A l'intérieur de la ferme, François Mossé, le résistant confirmé qui les dirige, comprend ce qui se passe mais est l'un des premiers à se faire tuer. Pris en étau, par une cinquantaine de miliciens par l'Ouest et une soixantaine d'Allemands par l'Est, les jeunes gens se défendent avec héroïsme jusqu'à 11h00 environ. Les assaillants font alors venir un canon de 105, situé non loin de là. Les jeunes gens, sachant ce qui allaient leur arriver, tentent alors une sortie frontale et sont fauchés sous les balles ennemies.
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La Ferme après le massacre |
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Les blessés sont abattus sur place et dépouillés de leurs objets de valeur puis, l'ordre est donné aux habitants de Saucats de les enfouir dans une fosse commune, en dehors du cimetière. Mais, le maire et les habitants n'obéissent pas à cette demande choquante et décident d'offrir une sépulture décente aux malheureux, à proximité de la ferme calcinée.
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L'inhumation avec les habitants de Saucats |
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L'inhumation avec les habitants de Saucats |
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Les tombes et les cercueils |
Les jeunes gens n'avaient rien sur eux qui puisse permettre de les identifier afin qu’aucune représailles ne puisse être faite envers leur famille. Parmi les décombres, on retrouvera un livre de cours avec la devise d'Henri de Bournazel :
"Mon âme est à Dieu, mon corps à la France, mon honneur à moi"
Un jeune qui venait de Bordeaux, Jean-Pierre Bouron et qui se rendait à la ferme est capturé par les Allemands, bien qu'il n'ait pas combattu aux côté de ses camarades, il sera emmené au camp de Souge, puis torturé et fusillé. Un jeune charbonnier italien, René Moretto qui se trouvait à proximité par hasard, est également arrêté.
De ce massacre, trois survivront : Philippe Béguerie, Driss Ben Milou et Miliani Ben Mekki, tous deux tirailleurs.
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Les jeunes tombés ce jour-là à la ferme :
- ANÈRE Lucien (Lulu) - né le 12 mars 1924 à Bordeaux, tué à 20 ans. Il avait été reçu à l'école nationale de la France d'outre-mer.
- BRUNEAU Jean-Claude (Chérubin) - né le 14 février 1925 à Bordeaux, tué à 19 ans. Il avait réussi le concours de médecine et souhaitait devenir chirurgien.
- CÉLÉRIER Guy - né le 29 janvier 1927 à Bordeaux, tué à 17 ans. Son père a disparu, tombé au combat et sa mère, engagée dans la Croix-Rouge, sera arrêtée et enfermée au fort du Hâ.
- DIETLIN Daniel (Dany) - né le 25 décembre 1925 à Conakry en Guinée, tué à 19 ans. Il avait été reçu à l'école nationale de la France d'outre-mer. Il était le frère cadet de Jean Dietlin.
- GLOTZ Jacques (Rivière) - né le 10 février 1923 à Paris, tué à 21 ans. Dès 1940, il s'engage dans des activités de résistance à Grenoble et Lyon ; il arrive à Bordeaux avec son cousin François Mossé.
- HUAULT Christian - né le 4 mai 1922 à Villaines-les-Rochers en Touraine, tué à 22 ans. Il est appelé par l'organisation Todt, et en sera déserteur et condamné à mort par contumace.
- HURTEAU Roger (Pacha) - né le 2 septembre 1923 à Alep en Syrie, tué à à 20 ans. Dès 1941, il travaille chez un constructeur de bateau à Lormont et aide la résistance en fournissant des informations. Il connait bien Anère et Rouin.
- MOSSÉ François (Noël ou Denis) - né 14 novembre 1921 à Paris (8e), tué à 22 ans. Il était étudiant en Droit et Sciences Politiques à Lyon. Vaillant résistant de la première heure, il recruta et organisa le maquis de Saucats.
- PICON Michel (d'Harcourt) - né le 15 janvier 1924 à Mayence en Allemagne, tué à la ferme à 20 ans. Il souhaite avoir une carrière militaire comme son père et souhaite intégrer Saint-Cyr.
- ROUIN Jacques (Dunablad ou toubib) - né le 13 juin 1922, tué à 22 ans. Il fait ses études à Montaigne et souhaite intégrer Santé Navale. Il sera achevé près de la ferme alors qu'il était en train de panser Huault et Taillefer.
- SABATÉ Roger (Corbin) - né le 28 juin 1925 à Masparraute au Pays Basque, tué à 19 ans. Il avait réussi le concours d'entrée à Saint-Cyr.
- TAILLEFER André (Rouquin) - né le 5 août 1923 à Bordeaux, tué à 20 ans. Il effectue diverses tâches pour des commerces bordelais afin d'échapper au STO. Malgré tout, l'organisation Todt le requière mais il suivra Huault à Saucats.
- BOURON Jean-Pierre (Bougie) - né le 1er novembre 1925 à Saint-Nazaire, arrêté le 14 juillet, amené au Fort du Hâ puis fusillé au Camp de Souge le 1er août 1944 à 18 ans. Il sera admissible à Saint-Cyr, il voulait consacrer sa vie au service de la France.
- MORETTO René - né le 3 juillet 1923 à Concordia en Italie, arrêté le 14 juillet, amené au Fort du Hâ puis fusillé au Camp de Souge le 1er août 1944 à 21 ans. Comme il se trouve à proximité de la ferme ce jour-là, il est arrêté en même temps que Bouron et connaît le même sort funeste alors qu'il n'appartenait pas au groupe de résistants.
Les survivants :
- Abdah-Allah - prisonnier échappé, il avait rejoint le groupe avec Driss. Ce jour-là il était avec Bourdon.
- BÉGUERIE Philippe - né le 2 décembre 1925 à Bordeaux et décédé le 3 mai 2017 à Paris (14e) à 91 ans. Pendant l'assaut de la ferme, il réussit à s'enfuir et rejoint le maquis de l'Armagnac. Après la guerre, il devient prêtre chez les spiritains. Il a réuni ses souvenirs de ce jour funeste dans un ouvrage intitulé "Le combat de Saucats".
- BEN MEKKI Miliani - ce jour-là, n'ayant pas d'arme pour se défendre, il réussit à s'enfuir. Personne ne sait ce qu'il est devenu.
- BEN MILOU Driss - il est sergent d'une unité de tirailleur marocain, fait prisonnier puis s'évade d'un camp de prisonnier. Il rejoint le groupe avec Abdah-Allah. Ce jour-là, dès qu'il entend les bruits suspects, il se dirige dans leur direction. Personne ne sait ce qu'il est devenu.
- BOURDON Pierre (Bâton) - il habitait rue Notre Dame à Bordeaux. Ce jour-là, il était en reconnaissance près de Langon avec Abdah-Allah.
- CHANRION Henri (Toto) - il travaille au chantier Dupuy à Douence. Ce jour-là, il faisait la liaison avec la résistance de Bordeaux.
- DIETLIN Jean (Eric) - né le 13 juillet 1923 à Conakry en Guinée, frère ainé de Daniel Dietlin. Il a à son actif de nombreux actes de résistance et de renseignement. Il intégrera Saint-Cyr et aura une carrière militaire. Ce jour-là, il fêtait son anniversaire avec sa mère.
- HOSTEINS André (Dédé) - né le 20 février 1926 à Bordeaux. Il va faire preuve d'imprudence et va révéler, sous la torture, le lieu où sont réunis ses camarades. Il assistera au massacre, puis sera détenu au Fort du Hâ et déporté. Il sera ensuite jugé pour trahison et décédera le 3 novembre 1973 à Bordeaux à l'âge de 47 ans.
- RICOU Pierre (Gâteux) - né le 7 novembre 1924 à Talence. Il se prépare au concours à l'école nationale de la France d'Outre-Mer. Ce jour-là, il était parti chercher de la nourriture, quand il reviendra dans la nuit, il découvrira les corps de ses camarades et les veillera toute la nuit. Il continuera dans la résistance puis intégrera l'école nationale de la France d'Outre-Mer. Il reviendra de nombreuses fois au mémorial. Il décédera le 30 novembre 2020 à l'âge de 96 ans.
- ...X... (Ernest) - Ce jour-là, il était parti récupérer une voiture du côté de Soulac.
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En avril 1945, un hommage leur est rendu à la Faculté des lettres de Bordeaux ainsi qu'à la cathédrale Saint-André. Leurs corps sont rapatriés à Bordeaux lors de cette cérémonie. Il est décidé de construire un monument à la gloire de ces jeunes tombés sous la barbarie nazie, et à la gloire de l'ensemble des martyrs de la résistance du Sud-Ouest.
Le monument est construit sur le lieu du drame car, de la ferme, il ne reste rien : il s'agit d'un obélisque de 35
mètres de hauteur nommé "Le Signal". Sur les quatre faces, quatre sculptures représentant la foi, le sacrifice, le courage, la victoire, ont été réalisées spécialement afin de rendre hommage aux résistants tombés sous les coups de la barbarie.
Tous les ans, le 14 juillet, leur mémoire est commémorée au Lycée Montaigne à Bordeaux.
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La plaque commémorative cours Victor Hugo à Bordeaux |
Ressources :
- Comité du mémorial de Richemont
- Savoirs et Mémoires en Graves Montesquieu
- Les AD de la Gironde
- Livre : "Le coucou chante en mai" de Sophie Picon, édition sud-ouest (Sophie Picon est la petite-nièce de l'un des résistants tombé ce jour-là)
- Article de Sud-Ouest du 14 juillet 2024
- FFI33
- Blog Corniche D'Amade