Le lundi 12 mai 2025, Patricia Ghilardi, présidente de l'association "Les filles de Camille", est venue nous présenter le documentaire "Camille et ses filles" réalisé par Christine Salavert - Grizet. Elle est accompagnée de trois pensionnaires du Centre Espoir dans les années 1960 : Eliane, Michèle et Mireille.
Le documentaire retrace une partie de l'enfance de Claude, Jeannine et Monique (maman de Patricia), leur arrivée avec leur enfant au Centre Espoir situé au Château des Arts pour y suivre une formation et en ressortir diplômées.
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Une cinquantaine de personnes présentes pour la projection suivie d'un débat |
Le Centre Espoir et le Château des Arts
Le Centre Espoir, créé par Madame Chaumet, inspectrice de l'Education Nationale en 1944, est le seul établissement public en France à proposer une formation aux mères célibataires mineures de moins de vingt ans. Elèves et bébés y sont boursiers, ce qui est assez mal vu à l'époque par le rectorat car cela coûte cher à l'Education Nationale. Le reliquat, après paiement des pensions, sert à constituer un trousseau qui sera offert à la mère à son départ de l'établissement : une valise contenant draps, couvertures, vêtements pour l'enfant et la maman.
Localisé initialement dans plusieurs châteaux successifs entre 1944 et 1956, le Centre Espoir est accueilli au château des Arts de Talence à partir de l'été 1956.
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Le Château des Arts (photo de P. Ghilardi) |
Les mères et les enfants vivaient dans le Château : le rez-de-chaussée et le premier étage étaient constitués des dortoirs pour les mamans, les femmes enceintes et les enfants, d'une salle de bains et d'une chambre pour l'infirmière. Au sous-sol se trouvaient la cuisine, le réfectoire, une buanderie et une salle d'apprentissage pour les arts ménagers. Les cours se déroulaient dans des préfabriqués installés dans le parc. La directrice et l'économe disposaient d'un logement à l'entrée du parc.
Une journée type : la maman se lève, se prépare, fait son lit et descend déjeuner à la cuisine. Puis elle monte chercher son enfant, le fait manger, l'habille et le place dans le parc pendant qu'elle participe aux tâches ménagères avant d'aller en cours. Les enfants sont gardés par des puéricultrices et une infirmière en attendant le retour de leur mère.
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L'escalier du Château des Arts Photo de P. Ghilardi |
Des jeunes filles enceintes pouvaient démarrer leur scolarité au Centre Espoir du château des Arts avant de rejoindre la maison maternelle de Cholet en fin de grossesse, et ensuite partir accoucher à la maternité de Pellegrin. A la sortie de la maternité de Pellegrin, elles revenaient à la maison maternelle de Talence jusqu'à ce que leur enfant soit âgé de neuf mois. Pendant cette période, elles pouvaient venir suivre leurs cours au Centre en s'y rendant à pieds. A partir des neufs mois de l'enfant, elles revenaient au Château des Arts avec leur bébé.
Pour celles qui arrivaient à la maison maternelle après avoir accouché en dehors de la maternité de Pellegrin, une quarantaine de vingt et un jours était requise pour la mère et son enfant ; par peur des maladies diverses et vénériennes semble-t-il. Eliane se souvient de cette mise en quarantaine difficile passée enfermée dans une chambre avec son fils sans contact extérieur, elle avait quinze ans et demi.
Il a été dénombré quelques rares cas de jeunes filles non revenues au centre après un accouchement sous x.
Quelques dates clefs :
1944 - création du Centre Espoir qui accueille quelques 30 enfants et leur mère
1956 - création du collège au Château des Arts proposant rattrapage scolaire et quatre CAP : secrétariat / comptabilité / couture / employée de collectivité
1972 - mise en place de 26 chambres individuelles pour mère/enfant
1976 - création du lycée professionnel
Puis le nombre des mères célibataires diminue au centre. Il semble probable que ce fait soit dû aux moyens de contraception développés ainsi qu'aux allocations allouées aux "mamans solos".
Le documentaire "Camille et ses filles" réalisé par Christine Salavert - Grizet : Claude, Jeannine et Monique
nous dévoile des secrets, des non-dits, des agressions physiques et verbales, des lacunes éducatives et affectueuses mais également des actes de résilience et de compréhension au sein de certaines familles.
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Le documentaire "Camille et ses filles" |
En 1960, Monique, seize ans et sa fille Patricia alors âgée de onze mois intègrent le Centre Espoir. Lorsque la mère de Monique apprend que sa fille est enceinte, elle lui impose d'aller dire à la directrice de son collège technique qu'elle est malade et ne peut pas poursuivre ses études. Durant des années, Monique aura honte de cette grossesse précoce et n'osera pas aborder le sujet avec sa fille.
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Monique et sa fille Patricia au Château des Arts en 1960 Photo de P. Ghilardi |
En bas âge Claude perd sa mère. Son père, incapable de l'élever, confie la petite fille à de la famille en région parisienne. Puis à cinq ans elle est placée dans un orphelinat jusqu'à l'obtention de son certificat d'études l'année de ses quinze ans. Claude est enceinte à quinze ans et demi. A l'annonce de sa grossesse, sa belle-mère exige qu'elle quitte la maison. Claude part donc du sud - est de la France pour Talence en passant par Paris où elle accouche.
Jeannine est surprise par l'arrivée de ses règles à dix ans. Elle en parle à sa mère qui en réponse lui demande de réciter "Je vous salue Marie". Jeannine s'exécute jusqu' à la phrase "et Jésus, le fruit de vos entrailles" sa mère lui coupe la parole et lui demande si elle a compris.
Peut - on parler d'éducation sexuelle ? Si oui elle semble rudimentaire et incompréhensible. Le sujet des filles - mères n'aurait sans doute pas été tabou si celui de l'éducation sexuelle ne l'avait pas été également.
A onze ans, lors d'une sortie avec sa soeur et son ami, elle se retrouve seule et subit les attouchements sexuels d'un inconnu. Alors qu'elle devait entrer en classe de 4ème, elle constate qu'elle est enceinte. Lorsque sa mère l'apprend, elle cache la vérité à son mari par peur d'une réaction violente de ce dernier et préfère enjoliver "l'histoire interdite" en lui annonçant que leur fille part faire ses études à Bordeaux. Un long périple vers l'inconnu va débuter pour une jeune fille qui se souvient encore des cris des sept femmes qui ont accouché avant elle ; "on ne peut pas guérir, on fait avec".
Il y a aussi le souvenir de cette fillette de treize ans enceinte des suites d'un inceste.
Les témoignages nous dressent les portraits de jeunes mères tout juste sorties de l'enfance et qui semblent de pas avoir profité sereinement de l'insouciance de leurs années de pré - adolescence. Les yeux malicieux, Claude avoue cependant avoir fugué une journée du Château avec deux amies pour faire une sortie cinéma avec des garçons. Elles se souviennent toutes de cette fenêtre du Château des Arts depuis laquelle elles apercevaient des garçons venus les saluer. Des sourires sur leur visage en évoquant ce souvenir et puis cette phrase "nous faisions attention, nous avions toutes un enfant".
Elles ont eu le courage et la force de surmonter cette épreuve d'abandon familial, de honte ou de déshonneur pour certaines, d'éloignement de la structure familiale pour d'autres en étant accueillies, dans les années 1960, au Centre Espoir par une Mademoiselle Bru qui dirigeait l'établissement d'une main de fer dans un gant de velours. Elle gérait le centre et "ses filles" avec l'autorité requise tout en restant juste et humaine. Une "mère" de substitution pour Eliane et d'autres pensionnaires.
Le débat : Eliane, Michèle, Mireille et Patricia
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Eliane, Mireille et Michèle
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Eliane a obtenu son CAP d'employée de bureau après avoir débuté des études de couture. C'est Mademoiselle Bru qui lui a vivement suggéré de changer d'orientation et elle a eu raison. Après avoir travaillé dans un centre pour personnes handicapées, Eliane a fait carrière dans un grand groupe immobilier.
Michèle nous raconte son arrivée au Château des Arts en 1960 avec son enfant, elle est âgée de dix neuf ans. Diplôme acquis elle passe un concours pour être secrétaire dans un institut de recherches. Lors de l'entretien d'embauche le directeur lui suggère de ne pas parler de son enfant afin de ne pas poser de "problème" dans son travail. Son enfant sera passé sous silence pendant quelques années jusqu'au jour où des collègues la surprennent en sa compagnie sans que cela pose le "fameux" problème initialement invoqué.
Mireille est arrivée enceinte et a accouché à Cholet avant d'intégrer le Château des Arts en 1962 avec son bébé de neuf mois. Elle est entourée et soutenue par sa famille contrairement à d'autres jeunes filles. Son séjour au Centre Espoir s'est déroulé en alternance entre son statut de pensionnaire et les visites dans sa famille "c'était le seul établissement qui assurait une éducation jusqu'à l'obtention d'un diplôme" pour les mères célibataires.
Patricia est la fille de Monique, elle a passé ses premières années au Centre Espoir, a été élevée par un beau-père qui l'a toujours considérée comme sa fille et qu'elle appelait papa. A neuf ans elle entend une phrase jetée en l'air par une personne de la famille et apprend qu'elle n'est pas la fille biologique de son "papa". Sa mère ne souhaite pas évoquer le sujet mais, à l'adolescence, Patricia persiste et retrouve les traces, l'adresse de son père biologique. C'est à trente ans qu'elle décide de le rencontrer, de faire sa connaissance. Des retrouvailles qui vont perdurer.
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Patricia Ghilardi |
Claude, Eliane, Jeannine, Michèle, Monique, Patricia, vous nous avez ému, vos parcours différents et chaotiques nous ont interpelé sur les conditions des mères célibataires dans les années 1960 et bien avant. Le Centre Espoir porte bien son nom et a tenu ses engagements en assurant à la fois votre éducation et celle de votre enfant. Le Château des Arts n'est pas en reste puisqu'il a fait de vous les artistes de vos vie. Merci Mesdames pour vos témoignages et soyez fières des personnes que vous êtes devenues.
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Grille du Château des Arts Photo de P. Ghilardi |
Le Château des Arts n'a pas fini de nous raconter son histoire. Témoin du mariage de François Mauriac et de Jeanne Lafon en 1913, puis foyer des mères célibataires à partir de 1956, il a perduré dans son statut de lieu d'éducation jusqu'en 2002, date de sa fermeture. Racheté par la mairie de Talence en 2018 et après des travaux de réaménagements, il ré - ouvrira ses portes fin 2026 en conservatoire municipal de musique, de danses et d'arts plastiques.
L'association "Les filles de Camille"
présidée par Madame Patricia GHILARDI, l'association a pour mission de réunir les pensionnaires (mères et enfants) et professionnelles du Centre Espoir, situé au 109 rue Camille Pelletan à Talence, dans la période de 1956 à 1976 : poursuivre et communiquer sur les recherches historiques concernant cette période.
Si vous avez des informations ou souhaitez des renseignements, vous pouvez prendre contact avec l'association lesfillesdecamille@gmail.com ou auprès de Patricia Ghilardi au 06.29.86.30.40
Sources : documentaire "Camille et ses filles" de Christine Salavert - Grizet suivi d'un débat avec Eliane, Michèle, Mireille et Patricia le 12 mai 2025 à Saint Aubin de Médoc + l'association "Les Filles de Camille" présidée par Patricia Ghilardi
Photos : P. Ghilardi et JM. Lambert